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L’austérité favorise le vote extrême

Publication dans La Libre du 22 février 2024

L’austérité favorise le vote extrême

L’austérité favorise le vote extrême

Un article universitaire1, publié par le célèbre MIT, met en lumière les conséquences des politiques d’austérité sur le renforcement des votes extrêmes (à gauche, et à droite) en Europe. En un peu moins de 50 pages, les économistes en arrivent à une conclusion limpide : la montée des extrêmes un peu partout en Europe est intimement liée aux décisions politiques d’austérité. Ainsi, une réduction de 1% dans les dépenses publiques générerait, par ses effets de récession et de mécontentement, une montée de 3% des parties extrêmes.

Leur analyse porte sur 8 pays européens mais malheureusement pas sur la Belgique, qui connaît pourtant également les fléaux de l’extrémisme et du populisme. Face à la toute-puissance du Vlaams Belang dans les sondages pré-électoraux et à l’irrésistible hausse du PTB concurrençant toujours plus le PS sur sa gauche, cette étude ne peut laisser indifférent à quelques mois des élections 2024.

Dans un pays à la dette publique dépassant les 100% du PIB et possédant un déficit structurel supérieur à 4% du PIB, des choix vont s’imposer et de ceux-ci dépendent en partie le mécontentement et les désillusions des citoyens belges. De ces choix dépendent les scores du PTB et du Vlaams Belang.

Mais quelles options restent-ils aux décideurs belges ? La Commission européenne impose depuis longtemps déjà un carcan budgétaire au sein duquel la Belgique fait figure de mauvaise élève. Si les fameuses règles de 3% de déficit et 60% de dette issues du Traité de Maastricht font figure d’anachronismes pour la quasi-totalité des pays européens, il n’en demeure pas moins que la situation budgétaire belge est dans un état critique, et l’actuelle négociation pour une révision de ces règles pourrait renforcer les efforts imposés à la Belgique2.

La dette belge serait sur une pente potentiellement insoutenable, et risquerait de conduire l’Etat à la « faillite ». Certains politiques et observateurs assurent qu’à défaut de réformes, nous courons tout droit vers une austérité brutale.

Alors, que faire ? Laisser courir la dette et le déficit, faisant fi de ces recommandations ? Là est très certainement l’argument des partis populistes, mobilisant fallacieusement des arguments historiques en oubliant que la Belgique est aujourd’hui un petit pays, sans contrôle de sa monnaie et prenant part à une économie mondialisée.

Au-delà des remontrances européennes, une dette jugée insoutenable est synonyme de rétrogradation par les agences de notation financière et donc d’intérêts d’emprunt plus élevés. On peut se désoler que ce soit les marchés financiers qui puissent ainsi délimiter les marges de manœuvre du politique. Peut-être même le doit-on.

Mais il faut néanmoins en être conscient. Les charges d’intérêts représentent environ 1,5% du PIB aujourd’hui. Le Bureau du Plan estime que cette charge d’intérêts s’élèvera, à politiques constantes, à 3% du PIB en 2040 soit un doublement de son niveau actuel. La crainte de « l’effet boule de neige », c’est-à-dire de la présence d’un taux d’intérêt réel exigé par les marchés financiers supérieur au taux de croissance du PIB alimentant sans fin la dette, est donc bien existant.

Mais reste la question. Que faire ? L’austérité serait-elle la seule option pour contrôler cette dette ? Les Etats sociaux tels que nous les connaissons sont-ils contraints à vaciller face aux pressions exercées par la mondialisation, sous forme de capitaux mobiles et d’outsourcing ?

Il semble évident que face à la montée des extrêmes partout en Europe et du mécontentement des classes moyennes, dont les revenus n’ont jamais bénéficié de la mondialisation contrairement au plus hauts revenus3, l’option de l’austérité représente un risque que l’étude du MIT démontre avec force. Couper dans les dépenses publiques, c’est en réalité des infirmières, des policiers et des enseignants en moins. Les revendications du PTB, mais également du Vlaams Belang, n’en sortiront que renforcées.

Trois axes principaux afin de répondre à ce défi :

Premièrement, il faut revaloriser le travail. Cette formule incantatoire brandie par l’ensemble des partis politiques – sans effet – peut pourtant se concrétiser très rapidement : la réforme fiscale garantissant aux travailleurs ayant les revenus les plus faibles une baisse d’impôt a été tuée dans l’œuf. Sans rentrer dans les détails techniques ayant opposé PS, Ecolo et MR, il semble important d’à la fois valoriser le travail et d’éviter les pièges à l’emploi en ciblant les travailleurs à bas-revenus mais également de ne pas étendre cette baisse d’impôts aux plus hauts salaires au risque d’un coût pour les finances publiques trop important.

Second axe : il est nécessaire de veiller à une gestion extrêmement précautionneuse et efficiente des deniers publics. C’est un problème mais ce n’est certainement pas le cœur du problème ni là où se trouve les réelles sources de financement de l’Etat. Cela s’impose, par devoir d’exemplarité et afin d’inspirer de plus grands changements.

Dernier axe enfin : bien que nous soyons le pays qui taxe le plus le travail de tout l’OCDE (!), le capital, et plus précisément le capital des plus nantis, est peu taxé en Belgique. Une baisse de la fiscalité sur le travail ne peut se faire, au vu des finances publiques, sans une compensation ailleurs. Pas plus de taxation sur les classes moyennes. Pas même une taxe sur la fortune. Simplement la fin d’une niche fiscale bénéficiant aux plus riches, c’est-à-dire ceux qui peuvent se permettre d’investir sans travailler ou qui, après avoir fait fructifier leurs activités, cèdent leurs parts sans payer le moindre impôt.

L’absence de taxation sur les plus-values en capital fait de la Belgique une des rares exceptions mondiales, d’aucuns diront un paradis fiscal, critiqué par le FMI. La taxation de cette forme de revenu s’opère partout, même au pays roi du capitalisme où je vis actuellement : les Etats-Unis. S’y opposer ne relève pas d’une idéologie tout à fait légitime (le libéralisme fièrement arboré par le président du MR) mais d’une obstination à préserver les intérêts de quelques électeurs nantis.

Face à la montée des extrêmes et aux risques engendrés par les politiques d’austérité, les solutions – concrètes et réalistes – restent dans les mains des décideurs politiques. A eux de s’en saisir !

Références

  1. Gabriel, Ricardo Duque and Klein, Mathias and Pessoa, Ana Sofia, The Political Costs of Austerity, 2022. ↩︎

  2. Voy. notamment l’analyse du Bureau Fédéral du Plan, Nouveau cadre budgétaire proposé par la Commission européenne : quelle trajectoire pour les finances publiques belges ? Rapport 12769, 2023. ↩︎

  3. Voy. notamment B. Milanovic, Global Inequality : A new approach for the age of globalization, 2016. ↩︎

Cet article est sous licence CC BY 4.0 par l'auteur.

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